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Cendrillon au Théâtre de la Porte St Martin

  • Diane Delbecq
  • 2 juil. 2017
  • 5 min de lecture



Tous le monde connaît l'histoire de Cendrillon. Mille fois raconté, ce conte de fées imaginé par Charles Perrault est aujourd'hui apprécié de tous, petits comme grands. D'abord jouée au théâtre de Bruxelles, c'est désormais au Théâtre de la Porte St Martin que l'on peut admirer un Cendrillon renouvelé, totalement subjuguant, signé par le metteur en scène Joël Pommerat.


Au travers de ce spectacle, Pommerat devient un illusionniste, et un visionnaire, proposant un spectacle déconcertant, éblouissant et purement envoûtant. D'emblée, le spectateur est étonné de voir apparaître devant ses yeux, une "boîte noire" dénudée de tout objet scénique, et d'une absence de rideau. Mais petit-à-petit, la scène se remplit à mesure que la pièce avance ; le lit de Cendrillon, un placard surgissent au coeur de cette sobriété étonnante. Le décor est surtout habillé par un écran au fond de la scène, devenant le décor principal, sur lequel viennent se projeter diverses vidéos pour recréer les atmosphères successives de l'intrigue romanesque.


Au début du spectacle, la salle de théâtre est plongée dans l'obscurité la plus totale, puis une voix off se fait entendre et résonne jusqu'au fond de la salle. Cette voix, c'est celle d'une conteuse qui rappelle la voix de notre mère nous contant une de ces histoires magiques faites pour nous endormir. Cette voix est à la fois envoûtante et énigmatique, rassurante et étrangère. Au même moment, une silhouette masculine jaillit au centre de la scène. L'homme se laisse aller à des pantomimes, à des gestes qui, même s'ils n'ont rien à voir avec le langage des signes, semblent traduire tout à la fois le langage des mots de la conteuse. La voix de la conteuse et la danse presque mécanique de la silhouette forment un duo qui hypnotise la sensibilité du spectateur. Le tout est assorti de la musique époustouflante d'Antonin Leymarie. Cette forme de poésie dans l'espace crée par Pommerat, nous plonge dès les premières minutes dans le monde hors du temps qu'est le monde du conte de fées. Nous sommes enfin "prêts" à voir et à redécouvrir l'histoire de Cendrillon.


Pommerat ne se contente pas de donner à sa pièce, une influence hautement cinématographique - par la présence d'un écran et l'insertion de vidéos - mais lui confère aussi une modernité dans l'utilisation de tous les langages théâtraux. Que ce soit les nombreux accompagnements sonores qui accompagnent le spectacle tout du long comme les bruitages pour reproduire le souffle du vent et des arbres, le grincement des meubles, des cris d'enfants, les oiseaux qui s'échouent violemment sur la maison de verre ou bien les lumières d'Eric Soyer, qui par un jeu de couleurs et de reflets très travaillé apporte une incroyable intensité et un effet déconcertant à la scène et aux visages des comédiens.


Tout concourt à évoquer le lieu à la fois angoissant et magique du conte de fées, mais lui donne également une profondeur et un caractère sombre tout à fait nouveau. L'angoisse et la terreur de la cave où dort Cendrillon, lieu de tous ses malheurs et de toutes ses hantises sont amplifiées par ces cris. Pommerat, en nous proposant un filtre esthétique et artistique nous transporte dans son univers, bien loin de celui, doux et enfantin, imaginé par Walt Disney.

En effet, l'esthétisme de la mise en scène se double d'une réécriture du conte initial de Perrault. Ce n'est plus "Cendrillon et la pantoufle de verre" mais "Cendrillon et la maison de verre" que le spectateur découvre. De la même manière que la petite pantoufle de verre est elle-même remplacée par la chaussure du Prince que ce dernier lègue à Cendrillon en gage de souvenir de leur rencontre.

Pommerat joue d'abord sur les jeux de surnoms, Cendrillon, ayant été surnommée avec un brin d'ironie "cendrier" par ses deux belles-soeurs. Cendrillon est cette jeune fille qui mène une existence misérable et triste depuis la mort de sa mère. Elle est persuadée que si elle cesse de penser à sa mère pendant plus de cinq minutes, alors sa mère mourra "pour de vrai". Dès lors, Cendrillon ne se sépare plus de sa montre "géante" qui lui rappelle toutes les cinq minutes, avec une sonnerie d'alarme stridante qu'il est l'heure de penser à sa mère. Pommerat marque ainsi une certaine distance avec la tragédie de la mort, en la relativisant et en apportant des bouffées de légèreté à sa pièce par un humour singulier.


Cette pièce suscite d'autant plus le rire, que les personnages et leur tempérament sont poussés jusqu'à la caricature. Comment rester insensible devant ces personnages si merveilleusement interprétés ? Il y a d'abord la terrifiante et cruelle marâtre, interprétée par Catherine Mestoussis, personnage haut en couleur qui ne cesse de crier et de s'insurger contre son mari, qu'elle insulte à tout bout de champ. Femme grotesque et égocentrique, elle refuse de se voir vieillir, prête à user de tous les stratagèmes et artifices pour conserver une beauté éternelle.


Deborah Rouach campe le personnage de Cendrillon. Elle nous émeut par sa fragilité et son courage et nous fait rire par son franc-parler et son entêtement. On éprouve de la pitié face à cette petite jeune-fille, devant son impossibilité à faire le deuil de sa mère, à construire sa vie, et subissant, avec dérision, des brimades continuelles. Son refuge est celui de la solitude et de la souffrance. Mais si Cendrillon paraît accepter ces humiliations, si elle consent à ses corvées, c'est qu'elle les voit comme une manière de s'auto-punir et de se racheter de la perte de sa mère.

Les deux soeurs, jouées par Noémie Carcaud et Caroline Donnelly, aussi cruelles que moqueuses, se liguent à deux pour s'en prendre à leur pauvre soeur. Elles sont drôles tant elles sont odieuses dans leur superficialité. Elles représentent aussi cette jeunesse "hyperoconnectée" qui n'hésite pas à mitrailler le roi de photos quand il fait irruption dans leur maison. Le père de Cendrillon, quant à lui, incarne un être effacé, faible et soumis, ne trouvant ni la force, ni la volonté de s'opposer à sa nouvelle femme. Jamais il n'intervient devant les injustices faites à sa fille. Enfin la fée est incarnée par la même comédienne jouant l'une des belles-soeurs de Cendrillon. Elle ravit le spectateur par son allure négligée, sa personnalité déjantée, et ses anecdotes de rebelle immortelle qui a tout vécu et tout connu : amours, mariages, déconvenues et semble tout connaître de la psychologie humaine.

Plus qu'un spectacle, la pièce s'appréhende comme un long voyage dans le rêve et l'imaginaire. Au-delà d'une simple modernisation du conte légendaire, elle nous invite à une série de réflexions sur le rapport à la mort, à l'absence, à la disparition des êtres chers, et au désir de vivre. Une philosophie de vie se voit suggérée, celle d'un appel à profiter de la vie et à regarder la mort avec apaisement mais aussi distance. Pommrerat donne ainsi à son spectacle une portée plus large encore, qui ravit aussi bien les enfants que les adultes, en conjuguant une palette d'émotions forte - la rêverie, la gravité, l'humour, la dérision, l'effroi, et bien sûr les larmes.


Ce spectacle est un régal de tous les sens, captivant nos yeux, nos oreilles et notre coeur. C'est une pièce qui nous subjugue par sa puissance de créativité et de réflexion à la fois intellectuelle, artistique et dramaturgique. Amateurs de sensations fortes, courez voir ce véritable ovni théâtral !


Au Théâtre de la Porte Saint Martin

Du 25 mai au 5 août 2017


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