La mode aime-t-elle vraiment les femmes?
- Diane Delbecq
- 17 mars 2018
- 3 min de lecture
« La mode doit aimer les femmes » déclarait si justement Christian Dior. Néanmoins, à en voir les récentes photos des défilés de haute-couture, de la Fashion Week de New York, de Londres à Paris, qui viennent à peine de s’achever, les mots du maître inconditionné de la mode résonnent, sans que ces mots semblent avoir été entendus ou compris. Comment se fait-il, qu’en 2018, les mannequins des défilés ressemblent à des squelettes ambulants, à des corps de pantins, à des « poupées de cire » dont la maigreur indécente est savamment dissimulée sous les milles artifices de la mode ? La taille 32 serait-elle devenue le nouveau canon de la beauté, le nouvel idéal tant recherché ?


Face à cette valorisation de l’extrême maigreur, journalistes et éditorialistes ont préféré le silence coupable, l’indifférence polie et le consentement tacite. Cela en dit long sur la capacité de contestation ! Pourquoi les designers et directeurs de collection imposent ces normes et ces mensurations indécentes à des mannequins – de plus en plus jeunes – au lieu de valoriser courbes et féminité ? Mais où sont donc passés les canons de beauté d’antan, ceux des années 80, ceux de ces femmes qui respiraient la santé, le bonheur, la force souriante et incarnaient la féminité dans toute sa plénitude ? Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, les mannequins n’ont jamais été aussi maigres et désincarnées. Au lieu d’aimer la Femme – comme le préconisait Dior – certains groupes de mode montrent qu’ils ne l’aiment plus vraiment ou qu’ils l’aiment sous son aspect famélique, infantile et fragile. Aujourd’hui, les mannequins ont l’inanité et la dépersonnalisation du corps becketien. Ce ne sont plus des femmes, mais des silhouettes désincarnées, dépersonnalisées, des corps accessoires et objectivés. A celles et ceux, qui nous insufflent des formules toutes faites (« Au sein de l’univers de la mode, ce n’est pas la femme que l’on regarde, mais seulement le vêtement »), nous leur répondons que chaque travail mérite respect, épanouissement et éthique. Car il s’agit d’une question de santé publique. Naïfs sont celles et ceux, qui semblent minimiser les répercussions que cette fascination pour l’extrême maigreur engendre sur une jeune génération en pleine construction. L’anorexie progresse dans notre pays mais l’image des défilés ne la cautionne-t-elle pas ?
Si LVMH et Kering se sont engagés à interdire la taille 32 en janvier 2017 (bravo à eux !), les coulisses de l’univers de la mode révèlent que la loi est loin d’être respectée. Car l’éloge de l’extrême maigreur contamine toute la jeunesse sous la pression médiatique. Combien de jeunes filles sont aujourd’hui tiraillées par leur image ? Combien sont obsédées par l’extrême minceur qui les conduit parfois à de dangereuses restrictions alimentaires, voire au décès. Car à force de s’affaiblir, on perd sa vitalité, son énergie, ses ambitions. On devient une petite personne fragile, incapable de se défendre et de s’affirmer. Des adolescentes de plus en plus jeunes tombent dans une mortelle anorexie à cause de canons de beauté de plus en plus inhumains, vantés inlassablement à travers les médias, les publicités, les réseaux sociaux, les magazines de mode, qui prônent un idéal de minceur inaccessible. Ce phénomène entraîne un sentiment d’infériorisation, prélude à une insatisfaction corporelle généralisée. Bien que le nombre de jeunes filles anorexiques soit difficile à évaluer du fait de la dissimulation ou de la honte de la victime ou du déni de la famille, l’anorexie est une maladie très grave - le taux de suicide de ces personnes étant le plus important de toutes les maladies psychiatriques. Il s’agit d’une maladie qui tue, qui a tué et qui continuera de tuer, si l’on ne met pas fin à ce manège par une loi courageuse et généralisée. Ana Carolina Reston, Isabelle Caro, Britanny Wallace et dernièrement un jeune mannequin russe de 14 ans en sont mortes. Alors mettons fin au règne de l’extrême maigreur des mannequins. Interdisons, au niveau international, la taille 32 pour les mannequins qui généralement font plus d’1m75. Prônons un poids et un IME raisonnables. Les mannequins doivent susciter du rêve et non de l’effroi ! Si la parole féminine se libère dans le monde du cinéma, dans le monde de l’entreprise, dans le monde de la culture, dans le monde des médias, pourquoi en serait-ce autrement pour le monde de la mode ? Il ne s’agit pas ici de « balancer un quelconque porc » mais simplement de préserver des conditions de travail épanouissantes pour les femmes mannequins. N’est-il pas antinomique d’encourager les femmes à libérer leur parole, tandis que le monde de la mode semble fermer les yeux, et faire du corps de la femme, un objet de plus en plus désincarné ?
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