Le Jeu de l'Amour et du hasard au Théâtre de la Porte St Martin
- Diane Delbecq
- 4 févr. 2018
- 3 min de lecture

Après Les Femmes Savantes présentée l'année dernière au Théâtre de la Porte St Martin, la comédienne et metteur en scène Catherine Hiegel réinvestit désormais l'oeuvre magistrale de Marivaux Le Jeu de l'amour et du hasard, dans une nouvelle création artistique.
Admirable gageure de la part de Catherine Hiegel que de mettre en scène la pièce la plus connue du dramaturge. Dans cette pièce, Silvia tourmentée et soucieuse à l'idée d'épouser Dorante, un homme qu'elle n'a jamais rencontré, met en place un espiègle et diabolique stratagème afin d'observer à son aise le prétendant qu'on lui destine. Mais ce qu'elle ignore est que Dorante va utiliser la même mécanique subtile et délicieuse son encontre.Double quiproquo amoureux et double intrigue dans lesquels les valets enfilent l'habit de leurs maîtres et essaient d'imiter leur préciosité et leurs tours de phrases admirables ; tandis que les maîtres s'emparent du langage de leurs serviteurs et de leurs costumes. Malgré les supbterfurges et les déguisements, deux duos amoureux finissent par se former, consacrant pleinement le triomphe de l'amour vrai, le triomphe de "l'amour vainqueur" (Clair de Lune, Verlaine). La morale est claire : qui se ressemble s'assemble. Même si la chose nous semble désuète, cet amour consacre les traditions et codes sociaux de l'époque : les maîtres succombent l'un à l'autre et les valets font de même.
Mais ce qui fait le charme de la pièce, au delà de l'intrigue, c'est le décor à la fois sophistiqué et romanesque. Après avoir franchi la porte de la salle de théâtre, le spectateur est transporté au coeur de l'atmosphère badine et champêtre du XVIIIème siècle. La scène figure le jardin verdoyant, lumineux et intimiste d'un hôtel particulier de l'époque qui illustre à merveille les couleurs voluptueuses peints par Watteau, les sculptures romantiques et la frivolité chères à Fragonard et à Boucher. Le tableau scénique imaginé par Catherine Hiegel est d'autant plus beau qu'il est accompagné des douces mélodies signées de Camille Guérard. Bref, c'est la patrie mythique et enchanteresse des rencontres amoureuses où "la musique est la nourriture de l'amour" selon le joli mot de Shakespeare. La mise en scène est aussi magnifiée par les trouées lumineuses du feuillage qui éclairent les corps en mouvement, les visages rieurs et les tissus soyeux des richissimes costumes.
Au travers de cette pièce, la metteur en scène donne aux attitudes et à la gestuelle des comédiens, une grande importance à tel point que c'est la position des corps qui exprime finalement les sentiments. Tout au long du spectacle, les comédiens dansent, courent, virevoltent et réapparaissent dans un décor joyeux et lumineux qui enthousiaste le spectateur. La metteur en scène a merveilleusement su réinvestir la langue très rythmée et musicale de Marivaux. Les comédiens interprètent avec fougue, profondeur et subtilité les personnages et le spectateur offre un sourire amusé et complice à cette comédie sincère de l'amour. Le duo d'amoureux burlesques interprété par Vincent Dedienne et Laure Calamy forme un binôme admirable qui nous fait rire à gorge déployée par leurs mimiques et leur légèreté. A la fin du spectacle, Vincent Dedienne se livre à une chorégraphie aérienne et enthousiaste qui émerveille le spectateur par sa joie de vivre et sa spontanéité. Cette danse ne serait-elle pas une ultime ode à l'amour?
Par sa mise en pièce, Catherine Hiegel insuffle à cette pièce un voile de modernité et parvient à faire entendre l'oeuvre marivaudienne dans ses dimensions autant sociales que psychologiques, autant politiques qu'artistiques. Marivaux se révèle un véritable contemporain : il analyse avec justesse les subterfuges de la logique passionnelle, les charmes de la rouerie féminine et s'affirme comme un maître de la psychologie humaine. L'ensemble compose un spectacle d'exquise et d'admirable facture, en partie grâce au talent de l'extraordinaire Vincent Dedienne qui, par sa fougue, séduit tous les publics. Un spectacle aussi drôle qu'intelligent, aussi poétique que surprenant. A voir sans tarder !
Comments