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Réactions à l'appel au boycott de Polanski

  • Diane Delbecq
  • 24 nov. 2019
  • 4 min de lecture


Lutter contre les violences sexuelles ? Une évidence que de combattre l’innommable et l’insupportable. Descendre dans les rues et crier bien haut notre colère et notre rage ? Une nécessité que de s’unir ensemble et d’éveiller les consciences pour éviter que de tels actes se reproduisent. Assister à la libération progressive de la parole des femmes dans le milieu professionnel et particulièrement dans les lieux de pouvoir, comme le cinéma ou la politique ? Une évolution incontestable et l’on ne peut que se féliciter et se réjouir de ce bouleversement progressif des mentalités. Pourtant depuis l’éclatement de l’affaire Weinstein en octobre 2017, constatons les dérives du mouvement Balance ton Porcou de Me Too. Car si ces deux hashtags ont pris une ampleur phénoménale sous l’impulsion des réseaux sociaux et ont effectivement permis une certaine libération de la parole en révélant de nombreuses affaires de viols, de harcèlements sexuels, de violences physiques longtemps restés sous silence, il semble qu’un tournant décisif soit apparu depuis la nouvelle irruption de l’Affaire Polanski sur le devant de la scène. En effet, certaines militantes ont prétendu signé un coup d’arrêt aux violences sexuelles en appelant au boycottage de son dernier film J’Accuse.

Bloquer l’accès au public à l’avant-première de son nouveau film sous prétexte que son réalisateur a commis les pires atrocités par le passé ? Appeler arbitrairement à son boycott sinon quoi le public serait lui-même considéré comme « complice » autrement dit contribuant à la banalisation des atrocités qu’il a pu commettre par le passé ? Interdire aux cinémas de le projeter sous prétexte qu’ils participeraient à sa promotion en l’absence de quoi ils seraient susceptibles d’être eux-mêmes placés sur le banc des accusés ? Or qu’est-ce qui se cache derrière ce sévère appel au boycott si ce n’est une forme de censure dissimulée ? Le simple fait de bloquer l’accès et donc la diffusion d’une œuvre artistique est de la censure, et cela est rendu d’autant plus grave qu’il s’agit là d’une censure indirecte, non officielle à travers la pression d’un groupe de militants cherchant délibérément à se substituer à l’autorité étatique. Faudrait-il donc se soumettre tête baissée à cette pseudo-justice médiatique, semblant désormais faire œuvre d’autorité dans notre société ? Je ne le crois pas surtout lorsqu’elle conduit à user de méthodes catégoriques et extrémistes – ici l’appel au boycott de Polanski.

Revenir sur le débat de la séparation de l’homme et de l’artiste conduirait à un débat interminable. Certains insisteront sur la nécessité de faire de l’homme et de l’artiste une entité inséparable, d’autres s’exclameront que mettre en lumière l’artiste reviendrait indirectement à poser le projecteur sur l’homme, et d’autres encore renchériront en affirmant la distinction indispensable à faire entre le talent artistique et l’homme lui-même. D’un point de vue objectif, il serait dramatique de confondre les deux car bientôt le boycottage de Polanski ne pourrait mener qu’à de nouveaux appels aux boycottages pour des artistes entrés ou non dans la postérité. Pour ce qui est de Polanski, son génie artistique – car il s’agit selon moi d’une forme de génie – est indépendant de sa bassesse morale. Aucun de ses films ne fait l’apologie du viol. Sa filmographie – Le Pianiste, Le Locataire, Chinatown ou Rosemary’s baby – pour n’en citer que quelques-uns ne sont que des réussites. Doit-on donc condamner l’artiste sous prétexte que l’homme ait commis l’innommable ? S’empêcher d’acclamer un chef d’œuvre ou de rendre hommage à son talent parce que l’homme est un salaud ? Car boycotter Polanski obligerait à boycotter Woody Allen, Rohmer ou Godard. Devra-on se priver de savourer Wagner, de danser sur Michael Jackson, de s’émouvoir devant les peintures de Gauguin ? Ou que dire d’Heidegger ou bien de Céline ? Nous pourrions ainsi multiplier les exemples de cette disproportion manifeste entre la bassesse morale de l’homme et de la grandeur artistique de tous ces réalisateurs, peintres, musiciens, écrivains.

Aussi ce fameux slogan scandé tout au long de cette Marche des Femmes contre les violences sexuelles illustre parfaitement les confusions faites sur les véritables responsables de cette affaire. En effet, au lieu de cibler ceux qui sont à l’origine de cette affaire, à savoir la justice, la police et l’Etat, tout le curseur est placé sur ceux qui n’ont en réalité aucune sorte de responsabilité dans cette affaire : l’industrie du cinéma et les Français. Or, il s’agit là d’une affaire judiciaire et comme toute affaire qui relève de la justice, elle doit être jugée dans un tribunal par la Justice et par les concernés, soit le coupable et les victimes. En aucune façon, le public devrait être mis sur le banc des accusés simplement pour assister au film J’Accuse et être privés de l’acclamer en tant que chef d’œuvre. Ce serait tout d’abord prendre les Français pour des imbéciles : toute personne réfléchie et censée peut assister à son film et l’applaudir si le film est un chef d’œuvre. Libre donc à l’homme d’aller assister au film ou non. Ensuite mettre la responsabilité sur le dos des cinémas prête à sourire : les cinémas sont des entreprises privées, qui ne relèvent en rien de l’autorité de l’Etat, et les distributeurs de films ont la liberté de choisir ou non de retirer leur film de la projection.

De fait, mettre la responsabilité sur le dos des Français et de l’industrie du cinéma illustre les réelles défaillances et dysfonctionnements de la justice française à traiter une affaire de viol d’autant plus lorsque celle-ci a eu lieu une trentaine voire une quarantaine d’années auparavant (c’est le cas notamment de la dernière accusation à l’encontre de Polanski par la photographe Valentine Monnier dont l’affaire remonte à 1975). Défaillance qui est elle-même le reflet d’une faiblesse de l’Etat à mettre en œuvre de réelles mesures efficientes et efficaces. Se venger en demandant de boycotter le film J’Accuse qui dénonce l’antisémitisme est stupide. Il est indispensable de se poser les bonnes questions : pourquoi les violences sexuelles perdurent malgré un éventail de mesures – si l’on songe par exemple à la loi censée limiter le harcèlement de rue dans les transports publics en août 2018 ou l’instauration de quotas – qui se veulent coercitives ? Parce que la violence qu’elle soit physique, sexuelle, verbale, comportementale est-elle-même omniprésente dans notre société. Elle nous touche tous et pas seulement les femmes. Un homme violent est un homme qui a grandi dans un environnement violent, a été initié et éduqué par la violence. Il n’a fait qu’intérioriser ce qu’on lui avait appris, et l’a reproduit au fil de son existence dans ses actes, ses paroles, ses pratiques sexuelles.


 
 
 

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