La Résistible Ascension d'Arturo Ui
- Diane Delbecq
- 21 mai 2018
- 2 min de lecture

A travers une mise en scène explosive et captivante, la metteuse en scène allemande Katharina Thalbach éclaire d’un œil neuf l’œuvre brechtienne : La Résistible Ascension d’Arturo Ui, en proposant une fresque tragique et grandiose de l’ascension au pouvoir d’Adoph Hitler dans les années 30. La Troupe de la Comédie Française transporte le spectateur dans une plongée de deux heures, au cœur des sombres corruptions, des faux-semblants et des folles oppressions.
La mise en scène restitue le contexte de l’époque et l’atmosphère qui y règne car dès le lever de rideau, le ton est donné : la scène en plan incliné est recouverte du plan de la ville de Chicago au-dessus de laquelle une gigantesque araignée semble avoir étendue sa toile, se mouvant au gré des scènes. Cette toile ne serait-elle pas la métaphore d’une prise au pouvoir cafardeuse dans laquelle on s’enlise inexorablement ? De même, tout au long du spectacle, des panneaux rappellent au spectateur, les différentes étapes de l’ascension d’Hitler : les pressions permanentes exercées sur le vieil Hindenburg, l’incendie du Reichstag, le procès chaotique qui s’en suit, les pratiques corrompues des dirigeants nazis, jusqu’à l’assassinat du chancelier autrichien Dolfuss. Mais surtout, on assiste à la construction du personnage d’Hitler qui travaille à la fois sa diction, sa posture, sa démarche et édifie progressivement une autorité maléfique.
Le dispositif scénique est d’autant plus fascinant qu’il conjugue tous les langages théâtraux. La brièveté des changements de décors et des arrangements musicaux signée Vincent Leterme sont semblables à la soudaineté que fut la prise de pouvoir d’Hitler. Les séquences chorégraphiques sous la direction de Glysleïn Lefever rappellent l’ambiance des cabarets de l’entre-deux guerres. Les bruitages et les coups de feu nous plongent dans une sorte de « gangster show » aussi étonnant que subversif. Que dire de la performance des acteurs qui est tout aussi stupéfiante, devenant tour à tour danseurs, marionnettes, acrobates ! Visages de plâtres aux traits volontairement accentués qui évoquent autant les figures peintes par George Grosz que la noirceur des héros des tragédies shakespeariennes ; costumes de gangsters qui s’apparentent au cinéma d’avant-guerre et ses héros comme Al Capone, allures chaplinesques des figures martiales. Bref, autant d’inspirations qui se mêlent et se conjuguent, contribuant à faire des comédiens de la Comédie Française, une troupe méconnaissable. Que ce soient Laurent Stocker, grimé en Hitler, Jérémy Lopez qui campe le rôle de Guiseppe Gobbola ou Florence Viala dans le rôle de Betty Dollfoot, tous excellent par leur jeu et leur brio.
A l’heure où les courants extrémismes connaissent une montée en puissance en Europe et dans le monde, cette pièce prend tout son sens. Car au-delà des intrigues policières et des affaires de corruption, cette pièce est aussi une dénonciation virulente de l’immoralité du capitalisme, de la monstruosité des fascismes et des conséquences qu'une fascination pour le pouvoir peut engendrer.
A la Comédie Française jusqu'au 21 mai 2018
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