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Justice au Théâtre de l'Oeuvre

  • Diane Delbecq
  • 16 févr. 2018
  • 4 min de lecture

Après avoir écrit, puis mis en scène Politiquement Correct au Théâtre de la Pépinière, une pièce profondément engagée où la question de l'identité politique apparaît comme l'épicentre de son travail dramaturgique, Salomé Lelouch propose une nouvelle création théâtrale qui pose une réflexion sur la justice. Dans ce spectacle, la metteure en scène reconstitue brillamment l’appareil judiciaire français dont elle dresse un portrait aussi véridique qu’impitoyable, aussi percutant que dérangeant.


A l'origine, l'écriture et l'imagination de ce spectacle singulier sont nées du témoignage réel de l'auteure et comédienne Samantha Markowic, qui joue elle-même dans la pièce. Celle-ci raconte, d’une voix neutre et comme anesthésiée, son agression par un homme qui voulait lui dérober son sac et comment cet homme, jugé en comparution immédiate, a été déclaré libre sans qu'aucune peine ne soit déclarée à son encontre. Par la suite, c'est en tant que spectatrice et non plus en victime révoltée que Samantha assiste durant une année et ce, plusieurs fois par semaine, à des comparutions immédiates. Le ballet absurde et sempiternel des avocats et des prévenus est terrifiant. Elle se documente parallèlement sur le sujet grâce à des récits de juges, de justiciables et de policiers.


Injustice et illégitimité, tels sont quelques-uns des arguments qui resteront dans la mémoire de Samantha Markowic et qui la conduisent à écrire ce spectacle - le tout orchestré par la mise en scène particulièrement réussie de Salomé Lelouch. C'est justement par l'expérience de Samantha Markovic sur le monde défaillant de la justice que débute la pièce. A travers l'écriture de ce spectacle et de sa mise en scène, les deux femmes procèdent ensemble à une véritable introspection sur notre système pénal et ses rouages, plus particulièrement sur la comparution immédiate - procédure rapide qui permet de juger les personnes directement après la garde à vue, mais, qui sous couvert d'efficacité et de rapidité, peut se révéler inique pour le justiciable. Certains hommes et femmes sont ainsi envoyés directement dans des prisons surchargées, surpeuplées, où les conditions de vie laissent à désirer. La pièce nous invite à nous poser la question : ne serait-il pas plus juste d'investir de l'argent pour permettre à ces personnes de bénéficier d'une prise en charge sérieuse dans des lieux spécialisés tels que des hôpitaux psychiatriques ou être suivis par des psychologues ?


Pour interpréter cette pièce, la metteure en scène a choisi un casting exclusivement féminin : Naidra Ayadi, Camille Chamoux, Camille Cottin, Samantha Markowic, Fatima N'Doye et Océane Rosemarie. Six comédiennes virtuoses et talentueuses qui endossent tour à tour la position du juge, de l'avocat, de l'agresseur et de la victime. D'emblée, ce spectacle s’appréhende comme une véritable tragi-comédie construit autour d’un entremêlement de récits et de plaidoiries. Juges, procureurs, avocats, policiers, greffiers, délinquants défilent tour à tour et discourent avec zèle tout en maniant avec brio séquences tragiques, fatigues lasses et pointes d'humour. Le spectacle laisse ainsi à voir et à entendre une galerie d’individus singuliers : une femme qui sort nue dans la rue, un djihadiste enrôlé dans le fanatisme de l’islamisme radical et qui n’a pas l’air de prendre conscience de la gravité de ses propos et de ses posts publiés sur Facebook, une jeune droguée qui sous l'emprise de l'alcool a battu sa mère ou encore une étudiante qui a organisé un bizutage d’une violence inouïe, malgré la loi de 1998 qui interdit formellement ces rituels inhumains. Bref, il s'agit de témoignages d'hommes et de femmes de sexe, d'origine et d'âge différents, qui passent en comparution immédiate en tant que justiciables. Abordant des situations auxquelles chacun pourrait être confronté durant sa vie quotidienne, le talent de la metteure en scène est donc de conduire le spectateur à éprouver une forme d'empathie et de pitié pour chacun de ses protagonistes.


A la fin du spectacle, le spectateur a le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de vrai, à une véritable scène d'audience. L'émotion, la tension et le suspens ont été poussés à leur paroxysme et restitués avec force et intensité. Le mérite et le brio incontestable de ce spectacle tiennent également à sa puissante capacité évocatrice de suggérer, autant par les mots que par le décor scénique, à un système judiciaire en perdition. En effet, le décor épuré imaginé par Emmanuel Charles auquel vient se supplanter un délicat jeu de clair-obscur participe à la formation d’une lumière très intense qui éclaire la silhouette des comédiennes comme pour évoquer la tension qui plane lors d'un procès. De la même manière, le décor évoque le chaos et le désordre du système judiciaire dans la mesure où, au fur et à mesure de l’avancée du spectacle, la scène est encombrée et surchargée par des piles de papiers administratifs de plus en plus hautes qui font figures de chaises pour les jurés et les victimes. Tout est dit sur les dysfonctionnements d'un système congestionné. Juges, procureurs et avocats nous apparaissent comme des êtres froids, déboussolés et désorientés par la misère sociale de ces délinquants.

Dès lors, comme la politique, la justice apparaît comme un enjeu sociétal majeur pour la société actuelle qui demande que justice soit faite. Car "la justice gouverne le monde. La justice est de ce qu’il y a de plus primitif dans l’âme humaine, de plus fondamental dans la société, de plus sacré parmi les nations et que les masses réclament aujourd’hui avec plus d’ardeur» déclarait Proudhon. La matière criminelle est ainsi devenue au fil des siècles, une mine inépuisable d'inspiration pout les metteurs en scène, les romanciers, les réalisateurs, les artistes. Cette pièce fait émerger de véritables questions philosophiques : si la Justice juge des actes indépendamment de la personnalité de chacun des justiciables, n'est-ce pas le risque de faire de chacun d'eux des jouets de la fatalité, de faire reposer leur propre existence sur une justice parfois injuste car incapable de remédier à certaines situations qui ne révèlent pas de ses compétences ? Cette pièce nous invite à la réflexion, à la prise de conscience et nous émeut. C’est ce qui en fait la beauté, la pertinence et l’efficacité.



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