Novocento au Théâtre du Rond Point
- Diane Delbecq
- 10 sept. 2017
- 4 min de lecture

Le Théâtre du Rond-Point est un lieu bien agréable pour renouer avec la saison culturelle du mois de septembre, surtout pour y admirer Novocento, nouvelle création théâtrale signée André Dussollier. Adaptée du texte d'Alessandro Barrico, André Dussollier, prix Molière 2015 du meilleur comédien, s'empare de ce récit en tant que metteur en scène et comédien. Concert de jazz ? One Man Show ? A vrai dire, nous sommes presque tentés de répondre les deux. En effet, ce spectacle d'une heure trente est hors du commun, en ce qu'il parvient à marier performance théâtrale et prouesse musicale, le tout dans une harmonie étonnante.
Novocento, long monologue scenarisé, n'est autre que le récit du destin pour le moins exceptionnel de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. Un enfant né dans les années 20 sur le transatlantique américain Virginian et recueilli par un marin après avoir été tristement abandonné par ses parents. Son histoire est narrée par un trompettiste, s'extasiant des années plus tard sur le talent et le génie de son ami. Joué par André Dussollier, ce dernier va partager six années avec Novecento, comme membre de l'orchestre du transatlantique. C'est à travers ses anecdotes et son récit que l'on découvre ce pianiste énigmatique, qui au fil de l'avancée des confidences du narrateur prend une épaisseur de plus en plus grande. On découvre son enfance, son adolescence, son goût pour la solitude, sa folie, sa vie maritime, sa liberté, sa fantaisie, et surtout son immense talent qui font de Novocento un être aussi fantaisiste qu'attachant. Durant les trente-deux années de son existence, pas une seule fois il ne quittera ce bateau qui est sa maison et jamais il ne posera les pieds sur la terre ferme. Son quotidien est rythmé par d'interminables voyages et allers-retours entre l'Europe et l'Amérique. Pourtant, c'est durant son long périple maritime qu'il apprend à jouer du piano et à devenir le "plus grand pianiste du monde" marin. Novocento est donc un autodidacte à la vie singulière que ni la notoriété, ni la compétition n'intéressent. Son talent restera caché et inconnu sauf de ses nombreux admirateurs qui ne pourront l'écouter en d'autres lieux qu'à bord du Virginian.
Le monde, c’est depuis son bateau qu’il l’appréhende et le découvre, tout comme les grands villes - Paris, Londres New-York, Rio de Janeiro - qu’il observe de loin, et qu'il apprend à découvrir par les récits que les passagers lui livrent entre deux escales. Mais ils lui donnent aussi la possibilité de les imaginer à sa manière, aussi précisément que s'il les avait déjà visités un millième de fois. Sa carte du monde, il se la crée au gré de son imagination débordante. Car Novocento parle, pense et s’exprime en musique. Jamais on n’entendra le son de sa voix. Ses mains resteront posées sur ces quatre-vingt-huit touches noires et blanches - matin, midi et soir. Novocento déchiffre, réinvente et s'approprie la musique tout en revendiquant sa liberté créatrice, sans cesse inspirée par les états d'âmes des passagers qu'il rencontre et côtoie.
, tantôt il se retrouve à l’air libre, bercé par le souffle du vent et le bruit des vagues. La mise en scène est tout comme le récit, à la fois sobre et étonnante. Avant même que les lumières ne s’éteignent et que le spectacle débute, le spectateur découvre en guise de rideau, le versant du paquebot Virginian, dont on discerne en caractères blancs les lettres « Ginia ». On distingue aussi une porte au centre de la scène où s’esquisse le décor intérieur du bateau. Puis André Dussollier entre sur scène, chapeau sur la tête, costume des années trente, valise à la main. En filigrane, des projections nous dévoilent des paysages marins comme si nous étions nous-mêmes sur le pont du bateau. Se dessine alors un camaïeu de couleurs bleu, rose, orangé nous transportant dans un décor de ciels majestueux et de couchers de soleil rougeoyants. Tantôt, le spectateur est immiscé dans l'ivresse des croisières et le décor luxuriant de la 1ère classe
Dès les premières minutes, le spectateur ne peut être qu'impressionné par la performance scénique de Dussollier. Agile, dynamique, joyeux ... l'acteur est stupéfiant. Tel un danseur, il paraît par sa vivacité étonnante, être en parfaite symbiose avec la mer et la musique qui ne forme plus qu’un. Sa virtuosité nous donne la sensation que lui aussi semble glisser, non pas ses mains sur le clavier du piano comme Novocento, mais sur le rythme des mélodies couplées au bruit des vagues. André Dussolier s’amuse avec les mots comme Novocento s’amuse avec ses notes de musique. Le quartuor musical, sous la direction de , excelle et prolonge l’émotion poétique des paroles de l'acteur. Dans ce spectacle, Dussolier réaffirme la puissance révélatrice de la musique, où l'émotion dépasse les mots. Mots et musique sont réglés à l'unisson dans une intensité particulière.
llions de touches. Et parmi ces millions de touches et ces millions de rues, de maisons, d’hommes et de femmes que l’on pourrait aimer, qui choisir ? où aller ? vers quoi ? En tournant le dos à cette immensité que l’on appelle l'humanité, il tourne le dos à la vie, à la guerre, à l'amour mais sans nostalgie.Un éternel pourquoi se pose dans cette pièce. Pourquoi Novocento a-t-il renoncé à découvrir New York après avoir descendu, les trois premières marches de la passerelle. Mais Novocento nous en explique la raison à la fin du spectacle : « La vie est un bateau trop grand pour moi ». Enfant abandonné, il n'a connu que les frontières d'un bateau qui représente tout à la fois sa maison, son refuge, son intimité. Il compare ainsi la vie à un clavier de piano, qui comme un bateau, a un début et une fin, tandis que la Terre elle, n’a ni début ni fin. Les quatre-vingt-huit touches d’un clavier de piano sont à sa mesure, alors que l'humanité est trop grande, trop multiple, trop singulière, semblable à un clavier composé de millions et de mi
Epoustouflante, paradoxale et musicale, cette pièce poétique nous fait voyager au rythme des mélodies et des longues traversées. Dussollier ne se contente pas de rendre hommage à un personnage, à un immense artiste mais aussi un art de vivre qui exalte la liberté, le détachement des choses terrestres, le nomadisme, la solitude, le mystère de l'art. L’ensemble compose un spectacle magique et captivant qui fait résonner avec une force singulière les mots de Barrico.
Au Théâtre du Rond-Point
Du 1er septembre au 1er octobre 2017
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