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Le Tartuffe au Théâtre de la Porte Saint Martin

  • Diane Delbecq
  • 16 oct. 2017
  • 4 min de lecture

En ouverture de la saison, le Théâtre de la Porte Saint Martin exhume et porte à la scène un monument théâtral français, Le Tartuffe de Molière. Cette création, sous la direction du metteur en scène Michel Fau, émerveille le spectateur grâce à une stimulante mise en scène qui l'emmène pour deux heures d'expérience sensorielle et émotionnelle. Comme dans ses précédentes créations, Michel Fau nous étonne une nouvelle fois, en ce qu'il insuffle à ce classique, une dynamique nouvelle, étonnante et imaginative. Il parvient à rester fidèle au langage moliéresque sui generis, à rendre Tartuffe à son siècle tout en le gratifiant d'un large souffle de modernité. Le génie de Michel Fau réside en sa capacité à ravir le spectateur contemporain bien qu'il s'agisse d'une pièce versifiée de 1669 ; les alexandrins résonnent et nous font vibrer comme ils devaient faire vibrer les spectateurs du XVIIème siècle.


La mise en scène est une parfaite et subtile mise en jeu du texte de Molière à la fois énergique et rythmée : elle est réglée au diapason de l'exigence et du pointillisme de Michel Fau. Le décor figure l'intérieur d'une église fantasmée dont l'atmosphère se colore d'exaltations baroques, que nous serions presque tentés de qualifier de kitsch. En toile de fond, dans la pénombre, le spectateur discerne une gigantesque croix chrétienne qui trône comme un témoin oculaire. Cette fresque baroque, lyrique et sulfureuse apparaît tout en perspective et déroute le spectateur, lui donnant presque le vertige. Cet univers plein d'artifices est d'autant plus intéressant que le metteur en scène a pris le grand soin de laisser l'arrière scène nue, laissant apparaître sous nos yeux, l'ancien décor du théâtre. Michel Fau allègue à cette pièce une recherche artistique pleinement assumée. Sa proposition artistique éveille chez le spectateur un intense plaisir esthétique : décors travaillés, lumières flamboyantes, costumes baroques imaginés par Christian Lacroix, forment un trio magique et harmonieux. La sophistication du décor est suggérée par les richissimes costumes, chaque personnage étant vêtu de manière singulière. Le personnage de Tartuffe, campé par Michel Fau lui-même, est apprêté d'une parure monochrome, d'un pourpre rutilant, qui tranche avec le costume en velours noir d'Oronte joué par Michel Bouquet, reflet d'un stoïcisme inébranlable. Christine Murillo dans le rôle de Dorine, est vêtue d'un costume chatoyant qui reflète son caractère hors du commun tandis que le personnage d'Elmire interprétée par Nicole Calfan figure une madone illuminée.


Dans sa pièce Michel Fau occupe lui-même le personnage de Tartuffe. Les traits de celui-ci sont exagérés, caricaturés et poussés au paroxysme; il apparaît comme un homme vil, pervers, et manipulateur. Le personnage intrigue par sa cruauté et sa noirceur. Dans cette pièce, Tartuffe porte le masque subtil de la dévotion, mais ce n'est qu'une tromperie. Se découvrent progressivement son hypocrisie, son attirance malsaine pour l'épouse d'Oronte et ses faux-sentiments. Avec subtilité, Michel Fau laisse découvrir au spectateur ses discours, empreints d'un double langage: tantôt des déclarations d'une sensualité exacerbée, tantôt un cynisme sans pareil. Effigie du puritanisme vipérin, Tartuffe est fascinant et hypnotique car il sait se servir des mots, pour instrumentaliser, séduire et captiver les esprits et les âmes. Et c'est justement au travers du personnage de Tartuffe que Michel Fau révèle les dérives de l'instrumentalisation notamment celle de la religion à des fins politiques. En effet, qu'à voulu dire le metteur en scène en clôturant son spectacle par la puissance d'une croix enflammée ? Une provocation envers Dieu ? Effectivement chacun des personnages sont tous à leur manière, à la recherche de Dieu.


De surcroît, cette pièce est d'une incroyable intensité dans la mesure où elle mêle la foi aux tentations de la chair ; le sacré rencontre le trivial ; Dieu face au Diable. Le spectateur navigue donc tout à la fois entre l'effroi et la drôlerie, le désir et le sacré, la tragédie et la farce. Entre inventivité et esprit de dérision, Michel Fau parvient à véhiculer de l'émotion dans l'extravagance !


Quant aux acteurs, ils ont été merveilleusement choisis par le metteur en scène. La tension des dialogues rythme le spectacle, les répliques cinglent avec force dans une langue âpre et majestueuse. L'aisance éblouissante des comédiens est stupéfiante particulièrement le duo des deux acteurs, Michel Bouquet et Michel Fau . Ce dernier n'est autre que l'ancien élève de Michel Bousquet et leur complicité se voit dans leur passion commune pour le spectacle vivant. Remonter sur les planches à 91 ans, peu d'acteurs l'auraient fait ! Michel Bouquet a osé le pari avec succès bien que parfois son souffle soit un peu court. Mais quelle prestation ! C'est un Oronte naïf et dupé, oublieux de son affection paternelle et entièrement sous le joug et la fascination d'un Tartuffe dominateur et jubilatoire.

Ode au lyrisme théâtral, acmé de la farce, ce spectacle est un véritable feu d'artifice de la langue française. Au travers de cette mise en scène étonnamment moderne, Michel Fau révèle en Molière, un artiste des mots. Ces répliques versifiées nous entraînent dans une valse mélodieuse où se succèdent acrobaties linguistiques, stichomythies rythmées et tirades emblématiques. Ce spectacle est un vibrant hommage à la langue française, à sa permanence, à son charme et à son éternelle jeunesse. A l'heure où les Précieux Ridicules et les pseudo Femmes Savantes veulent nous imposer leur stupide écriture inclusive, nous leur disons : courrez vite au Théâtre de la Porte Saint-Martin voir Tartuffe, redécouvrez Molière, le père de la dramaturgie française. C'est en entendant Molière, en écoutant Molière, en goûtant l'humour de Molière que vous comprendrez que la langue française est parfaite et que "sa grammaire est une chanson douce" (Merci Erik Orsenna !).


Au Théâtre de la Porte Saint Martin

Du vendredi 15 septembre au Samedi 4 novembre 2017




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